Accoucher à Munich en période de coronavirus

Je vous présente deux témoignages de mamans ayant accouché tout récemment. Huguette a accouché, par voie basse, le 23 mars 2020 d’une petite fille Zoé. Et Audrey a accouché par césarienne, le 24 mars, de Léopold.

Ces deux mamans ont accouché à Munich, mais beaucoup de mamans, vivant ailleurs, peuvent se reconnaître dans leurs témoignages. Des mesures, laissées à l’appréciation des hôpitaux ont été adoptées de manière presqu’unanime, comme de refuser les pères en salle d’accouchement et lors du séjour à la maternité.

Dans la plupart des pays occidentaux, la présence du père en salle d’accouchement est devenue normale et presque incontournable. Pour notre génération, de jeunes parents, c’est souvent inconcevable que le deuxième parent ne soit pas présent le jour J. L’arrivée du virus a été soudain en Europe. Des mesures ont été prises dans la précipitation et l’on peut percevoir, surtout dans le témoignage d’Huguette, un certain balbutiement dans les décisions à prendre par rapport au père. C’est évident, qu’à titre individuel, une sage-femme ou un gynécologue s’attriste de devoir laisser des papas dehors. Mais la balance pèse devant l’intérêt collectif.

Pour ma part, j’espère que cette situation va relancer le débat d’une prise en charge différente de l’accouchement. Si la grossesse est physiologique et donc à bas risque, l’accouchement devrait aussi être le moins médicalisé possible et se dérouler, soit à la maison ou en maison de naissance. Pour les grossesses à risque, l’hospitalisation doit être évidemment pratiquée. La préparation à l’accouchement, une médiatisation plus importante et une implication politique envers ce sujet devraient donner confiance aux femmes et à la société entière en considérant que l’accouchement est un événement naturel, qui dans la majorité des cas ne nécessite pas d’interventions. Si l’accouchement se déroule à la maison ou en maison de naissance, la présence du papa n’est pas un sujet. Il sera forcément là, s’il le souhaite. Il y aura de toute manière, moins de brassage de personnels soigants. A la maison, la même sage-femme est présente pendant tout le travail et l’accouchement. En maison de naissance, les gardes des sages-femmes durent souvent 24 heures et vous serez aussi en contact avec une, voire deux sages-femmes.

 

Huguette

« J’ai accouché à Harlaching le 23 mars et Zoé avait 8 jours de retard (40 sa + 8 jours). L’accouchement a été déclenché le 21 mars. On nous a dit de venir à 8h. Mais il y avait trop de mamans en Kreißsaal. On nous a alors dit de retourner à la maison et vers 16h, on nous a rappelé pour revenir à la maternité.

Quand on y était le matin à 8h, mon mari pouvait entrer à la maternité. Mais quand on est revenu à 16h, à l’entrée, on nous a dit qu’il ne pouvait plus venir. Alors j’étais choquée car le matin, il n’y avait pas de problème. J’ai demandé à ce qu’il puisse au moins m’accompagner jusqu’à la salle d’accouchement et ils ont fini par accepter. On nous a dit, par contre « votre mari ne peut pas rentrer dans la salle d’accouchement ». On nous a expliqué que j’allais recevoir un gel ou des cachets pour déclencher le travail mais une fois que l’accouchement s’annonce, on appelle mon mari pour qu’il vienne. Donc il pourra assister à la naissance mais ne pourra pas être avec moi pour les soins et lors du déclenchement. Et c’était difficile. Pour être honnête, j’ai commencé à pleurer parce que tout était émotionnellement lourd à porter. Et dans ma tête, il n’y avait jusque là aucun soucis. Il pouvait venir. Et je leur ai dit « Ce matin, il n’y avait pas de problème, pourquoi tout d’un coup, il ne peut pas venir ». La sage-femme m’a répondu que ce n’était pas contre moi mais que c’était les informations qu’elle avait eues. Après quelques minutes de discussion, ils ont fait venir le médecin pour venir parler avec nous et on lui a expliqué que mon mari n’était pas sorti de la maison depuis deux semaines et qu’il n’était pas allé travailler. À la fin, ils ont accepté qu’il m’accompagne et le deal était qu’il reste les deux premières heures et qu’après il rentre à la maison et qu’il revienne une fois que l’accouchement commence. Mais à la fin, mon mari est resté les deux jours que j’étais là. Ils nous ont laissé une petite salle qui s’appelle Wehenzimmer. J’avais un lit et lui, un lit canapé. On y était tous les deux et la condition était qu’on ne sorte pas et qu’on ne fasse pas de vas-et-viens dans les couloirs. On avait aussi emmené à manger et à boire alors, il n’y avait pas de problème. La sage-femme a fini par nous laisser tous les deux.

La précaution à l’arrivée était que tout le monde, les sages-femmes, les médecins portaient des masques chirurgicaux. Il n’y avait pas de masques pour nous mais que pour eux. Notre température n’a pas été prise. Mais on devait à chaque fois se laver et se désinfecter les mains. Thomas était là à l’accouchement. C’était bien car tout s’est passé très vite. Et il n’y aurait eu aucune chance pour qu’il soit là à temps.

Le personnel n’était pas stressé. Les sages-femmes étaient plutôt calmes. J’ai eu la chance d’avoir eu toujours trois mêmes sages-femmes. Je suis restée dans le Kreißsaal de samedi soir à lundi matin. Et c’était les mêmes sages-femmes qui travaillaient, le matin, l’après-midi et la nuit. Je me suis bien entendue avec les trois. Même la sage-femme qui était avec moi, la nuit et pour l’accouchement, était très calme et ça m’a aidé à me calmer.

Il y avait une baignoire. Mon but était d’accoucher dans la baignoire. Mais tout s’est passé tellement vite que je n’avais plus le temps de me poser dans la baignoire et d’accoucher dans l’eau.

L’anesthésiste semblait disponible. J’avais déjà rempli tous les documents. Mais quand j’ai demandé la péridurale, j’étais déjà à 9 cm. La sage-femme m’a dit qu’elle était vraiment désolée mais que c’était trop tard et que j’allais y arriver comme ça.

Zoé a été posée sur mon ventre et on a fait das « Auspulsieren der Nabelschnur ». Le bébé est resté sur mon ventre pendant que le médecin regardait si j’avais une déchirure ou pas. Le placenta était toujours à l’intérieur et la sage-femme rangeait tout autour de moi. Puis elle est revenue pour faire sortir le placenta.

Je me suis sentie très respectée par le personnel soignant et même lors de l’accouchement, je me souviens qu’il y avait des moments où je n’en pouvais plus et la sage-femme qui était à côté de moi, me disait qu’elle comprenait et qu’elle aussi était passée par là. Et que même si j’avais l’impression que je n’allais pas y arriver, elle me disait qu’il n’y avait pas de problème et que j’allais y arriver. Elle me disait de respirer, de prendre mon temps et elle était vraiment là pour me motiver et dire à Thomas ce qu’il pouvait faire pour m’aider.

Après la délivrance du placenta, Zoé a été mesurée et pesée… Et on me l’a reposée sur moi. Ensuite, on m’a emmené dans ma chambre. À cause du virus, ils ont essayé d’avoir une personne par chambre et Thomas nous a accompagné dans la chambre. Mon mari pouvait rester avec moi jusqu’à 22h. La sage-femme lui a remis un document, aussi signé par le médecin, disant que sa femme et que son enfant étaient hospitalisés à tel étage et qu’il était autorisé à être dans l’hôpital. J’ai accouché lundi matin et mercredi, dans l’après-midi, vers 15h, nous sommes rentrés chez nous. Le U2 a été fait et ensuite on avait le droit de rentrer à la maison.

Cette situation avec le coronavirus est très spéciale. Pour moi, vu que c’était mon premier bébé, il était hors de question que le papa ne soit pas là. Et c’est quelque chose à faire comprendre aux médecins et aux sages-femmes. Même si, ce sont les règles, il faut leur dire à quel point c’est difficile que le papa ne soit pas là et aussi demander s’il n’y a pas d’autres options. C’est normal de prendre les précautions mais on doit essayer de trouver un compromis ensemble. C’est ce que je conseillerais aux mamans. Et aussi, pour éviter les vas-et-viens, qui stressent le personnel, par exemple des gens qui sortent de l’hôpital et qui reviennent, serait d’avoir à manger et à boire déjà prêt. Cela nous a beaucoup aidé. On avait pour deux jours, nos petits pains, de l’eau… On était vraiment prêt. Et aussi, quand on parle au téléphone et quand on s’annonce avant d’aller à l’hôpital, de bien redemander, si le mari peut venir et jusqu’à quelle porte, s’il peut accompagner afin de se préparer psychologiquement. Parce que moi, je n’avais pas demandé en avance et c’était un gros choc pour moi que d’un coup, il ne pouvait plus rentrer. »

Explications :

– Der Kreißsaal signifie la salle d’accouchement.

– Das Wehenzimmer est l’équivalent d’une salle de pré-travail. Cette salle est utilisée dans le cas où le travail n’est pas assez avancé pour admettre la femme en salle d’accouchement.

– Comme en France, l’Allemagne manque de masques. Le personnel porte des masques chirurgicaux, rationnés par garde. Ce type de masque protège le patient contre d’éventuels postillons. En revanche, le personnel n’est pas protégé, si les patients ne portent pas de masques eux mêmes. L’idéal pour le personnel soignant, serait de porter des masques FFP2, les protégeant et protégeant en même temps les patients.

– Das Auspulsieren der Nabelschnur signifie le fait de ne pas clamper et couper le cordon directement après la naissance du bébé. Il est démontré, qu’il est bénéfique, d’attendre que le cordon arrête de battre pour le clamper et le couper. Le placenta peut être expulsé alors que le cordon ombilical est toujours connecté au bébé. Ainsi le bébé continue de recevoir après sa naissance l’oxygène et les nutriments. Ce qui fait de la naissance, une transition plus douce.

– U2 = Untersuchung 2. Les examens réalisés chez le bébé et l’enfant sont numérotés. Le U1 est effectué le plus souvent par la sage-femme. Le U2 a lieu entre le 3 ème et le 10 ème jour après la naissance. Cet examen est réalisé par un pédiatre. Le test de Guthrie (ponction de sang au niveau du pied du bébé pour dépister les maladies rares) et le test auditif seront effectués à ce moment là. Cet examen a lieu, la plupart du temps, à l’hôpital. Il est aussi possible de le faire dans le cabinet du pédiatre.

 

Audrey

« C’était une césarienne planifiée, le 24 mars. Nous avons été la veille de l’accouchement à la clinique de Freising. Du coup, nous avons été la veille de l’accouchement à la clinique pour qu’ils confirment qu’il fallait bien faire une césarienne car le bébé était trop grand. Mon mari n’a pas pu rentrer et je suis montée toute seule dans la salle d’accouchement pour aller faire l’échographie. Pour la prise de décision, j’étais au téléphone avec mon mari, plus avec la sage-femme et le Oberarzt pour confirmer qu’il fallait bien faire une césarienne. Mon mari n’a pas eu le droit de rentrer. Il a attendu dehors. Cela a duré deux heures donc pas top pour lui et pour une décision assez difficile à prendre au final car je voulais tout sauf une césarienne. C’était difficile d’être à distance mais c’est comme ça.

Le lendemain, on est arrivé à la clinique pour la césarienne. Là mon mari a pu rentrer avec moi. On a été directement en salle d’accouchement où on m’a préparée.

On n’a pas eu de masques à l’entrée, ni de prise de température. On devait juste utiliser du désinfectant pour les mains. Après, ils m’ont préparé pour aller au bloc. Donc là, ça a duré un petit bout de temps. Mon mari a pu être là pour l’accouchement.

Le personnel était détendu, pas du tout stressé, adorable, dans le contact. C’est à dire qu’ils me tenaient la main. Ils me tenaient l’épaule, me serraient la main. C’était très chaleureux. Tout le personnel portait un masque. Je pense que c’est pour ça qu’ils étaient plus proches.

L’anesthésiste était tout à fait disponible. J’en avais deux, un interne plus l’anesthésiste évidemment. Ils ont dû me piquer plusieurs fois car ils n’arrivaient pas à trouver mon canal dans le dos. Mais sinon, ça a fonctionné correctement. Ils étaient là tout le temps de l’opération. Et conmme c’était une césarienne, mon mari n’a pas pu couper le cordon ombilical. Ils l’ont coupé directement. Ils ont emmené Léopold. Ensuite, mon mari m’a rapporté le bébé. J’étais encore sous perfusion de partout. Du coup, je n’ai pas pu le prendre dans mes bras. Je l’ai eu contre mon cou donc je le voyais à peine. J’ai demandé à mon mari s’il était beau. Mon mari est remonté en salle d’accouchement pour faire du peau à peau. C’est lui qui l’a fait. Moi, je suis restée au bloc pour me faire recoudre puis ils ont mis 1h15 à me remonter. J’avoue que c’était un peu dur, car je savais qu’ils étaient là-haut et qu’on n’aurait pas beaucoup de temps avec mon mari. C’est lui qui a fait le peau à peau pendant 1 heure avec Léopold. On a eu une demi-heure tous les trois. Ensuite, ils ont demandé à mon mari de partir parce que moi, ils m’ont remontée en station. J’avoue, ça a été très très très dur. Déjà tu ne comprends rien à ce qui t’arrive. La préparation de l’opération dure un bon trois quarts d’heure, l’opération en elle-même, à peine un quart d’heure, donc tu ne réalises pas trop et ensuite, tu te fais recoudre et tu dois attendre encore 1 heure. Puis tu as une demi-heure à trois où tu es plein d’émotions et puis tu as ton mari qui doit partir. Donc c’est assez difficile. Le plus dure, sincèrement était pour lui, je pense, car moi, je suis restée avec mon bébé. Mon mari a dû laissé sa femme coupée et son bébé fraîchement né. Il est rentré tout seul à la maison. Il a travaillé. Il n’avait que ça à faire.

L’équipe médicale était absolument adorable, vraiment aux petits soins, absolument détendue, vraiment dans la compréhension et dans l’empathie d’avoir des femmes sans maris et sans visites.

Du fait de la césarienne, j’ai dû rester quatre jours à la clinique. Mon mari est venu nous chercher le vendredi après-midi. J’avoue que c’était assez long et j’avoue que le dernier jour, c’était quand même très lourd.

En partant, j’ai demandé aux sages-femmes si elles avaient encore beaucoup de bébés à venir. Et elle me disait, que beaucoup de femmes, décidaient, par peur du virus, de partir directement après l’accouchement. C’est à dire, qu’elles ne passaient même pas par la Station. Elles sortaient de la salle d’accouchement et rentraient directement avec leurs maris chez elle.

Personnellement, je dirais aux mamans, de profiter de la clinique, surtout quand c’est un premier bébé car moi, j’avais des tonnes de questions. J’étais dans l’incapacité, le premier jour, de faire quoi que ce soit. On serait rentré à la maison avec un nouveau-né, mon mari n’ayant pas forcément l’habitude des enfants dans son entourage et moi étant complètement hors service, je ne sais pas comment on l’aurait vécu. Ce passage à la maternité est quand même très agréable car j’avais 100 % confiance en le personnel car ils ont l’habitude des bébés. Il y a un médecin qui vient tous les jours, qui ausculte ton bébé et fait les tests qu’il faut. Tu ressors avec le U2. Tu es juste rassurée. Tu prends le relais des sages-femmes vis-à-vis de ton bébé au fur et à mesure. La transition s’est faite en douceur.

Nos famille mutuelles, étant très éloignée et de toute façon, avec le corona, ne peuvent voir personne, je trouvais agréable d’avoir le personnel hyperdisponible et prenant soin de mon bébé comme de moi. Avec une césarienne, on met un peu de temps à s’en remettre.

Je conseillerais aux femmes, si elles se sentent à l’aise et ont confiance en leurs cliniques, de rester à la maternité. Même si c’est difficile de voir son mari partir, on rentre à la maison, plus en confiance. Aussi, si les mamans arrivent à trouver une sage-femme, c’est quand même génial. Elle est venue le lendemain et le surlendemain de notre retour à la maison. Elle revient régulièrement. »

Explications :

– Die Station signifie le service d’un hôpital. Après l’accouchement, les mamans rejoignent leurs chambres et vont en « Station ». C’est le service de la maternité.

La sage-femme pour le Wochenbett est courant en Allemagne. Ici, la sage-femme a aussi un grand rôle dans le postnatal et certaines s’y sont spécialisées. Elle peut passer à la maison de la nouvelle accouchée tous les jours, la première semaine, puis les visites s’espacent. Le postpartum est plus valorisé en Allemagne qu’en France. Ici, on insiste pour que la femme reste allongé le plus possible au moins les deux semaines après l’accouchement.

 

En conclusion, la gestion du coronavirus fragilise encore davantage les femmes en période de maternité. La grossesse est déjà une période de vulnérabilité et parfois de stress, voire d’angoisse. Les soins prénataux sont réduits, les cours de préparation à l’accouchement sont annulés, les femmes enceintes peuvent se sentir encore plus isolées. À l’accouchement, les femmes ont peur qu’on refuse leur partenaire. Elles ont peur d’une diminution de la qualité des soins et du manque de disponibilité du personnel soignant. Elles savent qu’elles ne vont pas avoir de visites à la maternité et que même le papa devra attendre plusieurs jours avant de revoir son bébé et sa femme.

Et ce fameux mois d’OR après l’accouchement, où la jeune maman doit se reposer au maximum? Et comment fait-elle pour compter sur le soutien de ses proches, gérer les aînés, faire à manger, le ménage… Il est assez courant de voir les grands-parents s’impliquer lors de cette période. Pour les mamans vivant en Allemagne, c’est souvent l’occasion de faire venir la famille qui va pouvoir aider. Mais les directives actuelles sont qu’il faut notamment protéger les grands-parents en évitant tout contact. Le papa devra s’impliquer d’avantage alors que souvent on l’a privé de la rencontre avec son bébé à la naissance. Mon prochain article parlera du vécu émotionnel du papa, homme qui devient père, pendant cette période du coronavirus.

Je remercie les deux mamans pour leurs témoignages et leurs photos.

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